Le cours Web social (INF6107) m’a permis d’entrouvrir
une fenêtre sur le monde du Web 2.0 et sur ses nombreuses ramifications. Force
est de constater que les réseaux sociaux gagnent du terrain tous les jours et
que la force de pénétration de ces réseaux en fait un moyen de communication de
masse incontournable dans toutes les sphères de la société. En outre, ce
nouveau moyen de partage d’information et de réseautage fait partie intégrante du
quotidien d’une tranche grandissante de la population, la communauté des
«digital natives», pour qui communiquer passe tout simplement par les réseaux
sociaux. Il semble donc inévitable de prévoir l’intégration du Web 2.0 à plus
ou moins court terme au monde des bibliothèques publiques, le milieu
professionnel auquel je me destine.
Description
du milieu
Les bibliothèques publiques ont une histoire relativement
récente au Québec, à peine plus de 50 ans. Leur développement, longtemps freiné
entre autres par les communautés religieuses catholiques désireuses de limiter
l’accès à la lecture – et, de ce fait, à l’information –, marque toujours
un retard par rapport au Canada anglais et à l’Amérique du Nord.
Le manifeste
de l’Unesco sur les bibliothèques publiques, publié en 1994, a certainement
contribué à favoriser l’essor des bibliothèques au Québec. Ce document définit
la bibliothèque publique comme un «centre local d'information qui met facilement à la disposition de ses
usagers les connaissances et les informations de toute sorte.» Il encourage les
communautés à fournir des services de bibliothèque gratuits, «
[…] accessibles à tous, sans distinction
d'âge, de race, de sexe, de religion, de nationalité, de langue ou de statut
social […] » et précise que « […] les collections et les services doivent
faire appel à tous les types de supports et à toutes les technologies modernes […] »
(Unesco, 1994). Selon cet organisme, une des missions
des bibliothèques devrait être de «faciliter le développement des compétences
de base pour utiliser l'information et l'informatique.» Au Québec, le ministère
de la Culture et des Communication adhère à cette vision et y contribue en
soutenant financièrement les bibliothèques publiques dans leur établissement et
dans leur développement. C’est pourquoi le Web social pourrait et devrait
trouver sa place et son rôle dans le développement des bibliothèques publiques.
Une étude réalisée en 2009 par l’Observatoire de la culture et
des communications du Québec, en collaboration avec l’Institut de la statistique du
Québec, indique que, en 2007, la province comptait plus de 800
bibliothèques publiques qui desservaient 95,3 % de la population québécoise, un résultat comparable à
celui de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et des États-Unis (Stat_Flash,
2012).
Encore aujourd’hui, en dépit des progrès
réalisés grâce à la volonté des gouvernements de corriger la situation, la
province marque toujours un retard quant à la fréquentation des bibliothèques –
une moyenne d’environ 34 % de la population (2010, CCQ) – et
aux nombres de documents prêtés aux abonnés. Le Web social peut potentiellement
contribuer à améliorer cette situation.
Tendances Web 2.0 dans les bibliothèques publiques
Comme dans la plupart des milieux, le Web
social fait lentement son entrée dans les bibliothèques publiques. À cet égard,
les plus récentes données de l’enquête annuelle sur les bibliothèques publiques
réalisée par le ministère de la Culture et des
Communications du Québec sont éloquentes :
- «24 291 064 personnes les ont visitées sur place alors qu’on a enregistré 13 312 546 visites sur leurs sites Web.
- Dans leurs bibliothèques publiques, les Québécois ont accès à 2 559 postes de travail connectés à Internet, sur lesquels ils ont ouvert 2 678 500 sessions en 2010. De plus, 73 % des bibliothèques offrent l’accès à un réseau sans fil à leurs usagers.
- Les usagers peuvent consulter des bases de données dans 58 % des bibliothèques publiques québécoises, 43 % d’entre elles permettant également d’utiliser des ressources électroniques à distance.
- Les bibliothèques québécoises ont investi 2 814 511 $ pour acquérir des collections électroniques et 9 236 420 $ pour acheter de l’équipement informatique.» (Stat_Flash, 2012)
L’accès à des postes informatiques dans les
bibliothèques publiques s’inscrit dans une volonté de favoriser une familiarisation
aux nouvelles technologies. Les OPAC («on-line public access catalogues») ont
permis de franchir un pas important vers l’accès à distance dans les
bibliothèques. Ces nouveaux catalogues en ligne, consultables de la maison ou d’ailleurs,
créent un premier lien virtuel entre les abonnés et la bibliothèque et ouvre la
porte à la dématérialisation des services et, éventuellement, au partage
d’information. En plus de promouvoir la collection de documents physiques, ces
catalogues facilitent l’accès à des ressources numériques, élargissant ainsi
l’éventail de l’offre documentaire de la bibliothèque. En contrepartie, ils
permettent aux abonnés d’accéder à certaines ressources de la bibliothèque sans
se présenter sur les lieux, ce qui pourrait constituer une certaine menace pour
le maintien et la survie des bibliothèques publiques.
L’avènement et la progression de la popularité
du livre numérique promettent possiblement de changer la situation. Les données
suivantes en témoignent.
Figure 1 : Situation du livre numérique dans les bibliothèques publiques du Québec.
Comme le montre la figure 1, depuis 2007, les
bibliothèques publiques font l’acquisition d’un nombre sans cesse croissant de
livres numériques à chaque année. Elles les rendent disponibles selon des
modalités diverses de chaque milieu et les abonnés en empruntent de plus en
plus. Il semble indéniable que la présence du livre numérique puisse rapprocher
les bibliothèques du Web 2.0. Désormais, non seulement les abonnés consultent
le catalogue de leur bibliothèque et accèdent à certaines bases de données,
mais ils peuvent également emprunter des documents sans jamais mettre les pieds
dans leur bibliothèque. Une petite révolution.
Cette nouvelle façon de lire signifie-t-elle
la fin des bibliothèques telles que nous les connaissons aujourd’hui? Au
contraire, les nouvelles applications du Web social pourraient assurer la
survie et même la croissance des bibliothèques publiques québécoises. Ces services
d’information seront par contre appelés à subir d’importantes transformations
afin de s’adapter aux changements que génère l’accessibilité aux nouvelles
technologies. Et cette adaptation passe la nécessité de développer de nouveaux moyens
de communiquer, de maintenir des liens avec la communauté des usagers
d’aujourd’hui, et de réussir à rejoindre les adeptes du Web 2.0 pour en faire
des abonnés, d’où l’importance de développer des réseaux sociaux.
Des initiatives de type Web 2.0 sont déjà en
vigueur dans certains établissements du réseau des bibliothèques publiques,
plus particulièrement dans celles établies dans les grands centres urbains. À
titre d’exemples, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), la bibliothèque de Brossard et les bibliothèque de la ville de Québec s’affichent déjà sur des réseaux sociaux comme
Facebook et Twitter. Les membres de ces réseaux sont tenus informés des
nouveautés, des activités et sont invités à échanger. Cette nouvelle façon de
partager l’information permet d’ailleurs d’encourager l’établissement d’une
conversation entre les abonnés, un élément central des réseaux sociaux.
Freins et volonté de changement
Bien qu’une certaine ouverture à l’égard des
réseaux sociaux soit perceptible dans le milieu des bibliothèques publiques, il
est illusoire de croire que l’ensemble de ces établissements québécois soit en
mesure d’implanter des stratégies Web 2.0 dans leur institution en 2013. La
grande disparité des ressources allouées aux bibliothèques publiques – tant
humaines que budgétaires – se traduit par une offre très variable d’un milieu à
un autre. Certaines bibliothèques de taille moyenne ou petite hésitent à tenter
l’expérience des réseaux sociaux car elles sont confrontées aux difficultés
inhérentes à la résistance des décideurs municipaux et à un financement
insuffisant pour assurer le maintien de ces réseaux.
Outre la résistance au changement, phénomène
naturel fréquent dans n’importe quel milieu professionnel ou autre, certaines
raisons peuvent expliquer la lente progression des réseaux sociaux dans les
bibliothèques publiques. La réticence de certains décideurs qui sont pour la
plupart des «immigrants du numérique», qu’ils soient bibliothécaires ou représentants
municipaux, agit comme un frein majeur à l’implantation du Web 2.0. Ces
dirigeants sont réfractaires à utiliser les réseaux sociaux, probablement en
raison de l’inconfort que suscitent ces nouvelles façons de communiquer avec lesquelles
ils ne sont pas familiers. Comme la décision d’implanter de telles applications
passe par ces derniers, il reste fort à faire pour les amener à accepter l’idée
d’intégrer les réseaux sociaux dans leurs organisations.
Cependant, ces décideurs n’auront
probablement d’autres choix que d’y adhérer, compte tenu de la force de la
demande. De plus, dans la mesure où le nombre d’abonnés est un indicateur
important de la mesure de la performance des bibliothèques, un élément
essentiel à l’établissement du budget annuel alloué à cette ressource publique,
le Web 2.0 devrait être perçu comme un moyen efficace d’attirer des nouveaux
abonnés. Si les bibliothèques veulent accroître leur nombre d’abonnés de même
que leur taux de fréquentation, elles devront rejoindre les 18-30 ans, une
catégorie de la population particulièrement sous-représentée dans leurs
services. Cette tranche de la population étant très active sur les réseaux
sociaux, il serait judicieux de les attirer vers les bibliothèques en utilisant
les moyens de communication qu’elle favorise. Mais cette génération ne fait pas
que communiquer par les réseaux sociaux, elle partage ouvertement aussi ses
intérêts et ses opinions.
Là réside possiblement la clé pour que les
bibliothèques puissent faire de grandes avancées. En incitant les abonnés à
partager leur expérience de lecture, d’écoute, de visionnement sur les réseaux
sociaux mis en place, la bibliothèque peut faire la promotion de ses services et
en favoriser une meilleure utilisation dans la communauté.
Que
réserve l’avenir aux bibliothèques publiques?
Dans le monde en constante ébullition des technologies
de l’information, il n’est pas facile de se projeter dans le futur. Chaque mois,
et parfois même chaque semaine, amène son lot de nouvelles applications, de
nouvelles technologies. Comment les bibliothèques publiques peuvent-elles se
positionner pour tenter de bénéficier de ces avantages? Que se passera-t-il
d’ici un an, cinq ans, vingt ans?
Dans
la prochaine année
Le monde des technologies numériques est en croissance
constante depuis les dernières années et ne semble pas vouloir s’essouffler. L’attrait
grandissant pour le livre numérique en fait un incontournable pour les
bibliothèques publiques qui veulent demeurer dans la course. Les applications
favorisant le partage d’information et le développement de communautés
d’usagers sont très probablement appelés à s’intégrer au milieu des
bibliothèques publiques.
Ainsi, la prochaine année devrait amener la plupart des
bibliothèques publiques à offrir accès aux livres numériques. Parallèlement, la
plupart des bibliothèques publiques des grandes villes devraient investir pour
s’afficher sur les réseaux sociaux. La création de compte Facebook, Twitter ou
encore Flickr ou Pinterest feront partie des innovations de ces plus grandes
bibliothèques.
Dans
cinq ans
Le courant d’intégration d’applications du Web social
devrait fort probablement s’étendre aux bibliothèques de taille moyenne et même
petites, puisque ces dernières n’auront d’autre choix que de suivre la vague de
partage d’information et de commentaires. L’impact positif de ces réseaux
sociaux risque d’entraîner d’autres innovations.
Il est facile de concevoir que le tagging, un système
permettant d’attribuer des étiquettes à des pages Web comme il a été décrit au
module 1 du cours INF6107, pourrait faire partie du paysage des bibliothèques
publiques, un autre élément de Web 2.0 qui intéresse vivement les «natifs du
numériques», une tranche de la population que les bibliothèques publiques se
doivent d’attirer pour garantir leur survie.
Dans
vingt ans
D’ici 2033, les réseaux sociaux – qu’il s’agisse de
Facebook, Twitter, Flickr ou les futures applications appelées à les remplacer
– auront assurément pénétrer complètement l’espace des bibliothèques publiques
et les compagnies qui proposent des systèmes intégrés de gestion de
bibliothèques (SIGB) auront intégrer des modules permettant de gérer les
réseaux sociaux dans les bibliothèques publiques. Les signets sociaux seront
devenus la norme une pratique courante pour la référence, grâce aux
contributions des abonnés de bibliothèques. Comme ces services d’informations
seront fort probablement dirigés par des «digital natives», ces derniers seront
plus enclins à suivre les nouveautés technologiques et souhaiteront
possiblement suivre le courant dans la mesure des ressources à leur
disposition. Il faut cependant prévoir que ces nouveaux gestionnaires
deviendront probablement eux-mêmes dépassés par la progression exponentielle du
monde du Web.
Il semble assez difficile de prévoir ce que seront
devenus ces réseaux sociaux et vers quels nouveaux horizons ils nous mèneront. Qui
aurait pu prédire, au début des années 1990, que l’apparition d’un premier
navigateur internet mènerait à la présence d’un accès au Web dans pratiquement
toutes les maisons et toutes les entreprises, du moins en Occident, quelques
vingt années plus tard? Qui aurait crû que l’ordinateur serait au cœur de notre
quotidien? Cette progression fulgurante du domaine de l’informatique au cours
des 20 dernières années a révolutionné la manière d’interagir avec les autres,
mais également les modes de travail et les communications. Ce qui aurait pu
sembler être une mode s’est implanté profondément dans nos vies
professionnelles et personnelles sans possibilité de retour en arrière.
De plus, si le passé est garant de l’avenir, on peut
prédire que certaines des applications les plus populaires du moment, telles
que Facebook, Youtube, Twitter ou Flickr, pourraient fort bien avoir été
supplantées, comme l’ont été des applications très populaires telles qu’Instagram
et MySpace, par de nouveaux outils plus performants, plus attrayants ou tout
simplement plus «tendance».
Pour plusieurs experts, la reconnaissance vocale fait
partie de l’avenir du Web. Les bibliothèques publiques sauront-elles y trouver
leur compte? Difficile à prédire. Il en va de même pour les données ouvertes.
Dans le cas des livres numériques, le marché actuel est contrôlé par quelques
grands joueurs qui récoltent beaucoup de profits en se partageant des parts de
marché à grand frais pour les usagers. Le coût pour les bibliothèques publiques
est croissant. Par exemple,
- Les bibliothèques publiques signent des contrats leur donnant accès aux fichiers des livres numériques qu’elles prêtent ensuite aux abonnés. Elles ne possèdent pas le code source des livres qu’elles «acquièrent» et ne sont donc pas propriétaires des exemplaires qu’elles achètent. Elles dépendent des éditeurs qui demeurent propriétaires des ouvrages et qui peuvent à tout moment retirer de leur catalogue un ouvrage moins populaire.
- Certaines ententes entre bibliothèques publiques et éditeurs limitent à 100 le nombre de prêts d’un livre numérique, ce qui force les bibliothèques à racheter l’accès à des ouvrages populaires à plusieurs reprises, un coût élevé en comparaison des livres imprimés.
Comme l’accès à des bases de données s’avère également dispendieuses
et que les bibliothécaires ont un contrôle limité sur le choix des ressources
disponibles, la tendance vers les données ouvertes permettra-t-elle de changer
le rapport de force avec les éditeurs? Les consommateurs pourraient-ils
rééquilibrer la donne? On peut aussi imaginer que le libre partage des données
doublé à la venue sur le marché de nouvelles technologies pourrait permettre
d’accéder de façon moins onéreuse, et même gratuite, aux documents.
Cet accès libre à des données risque-t-il de rendre les
services de bibliothèques inutiles ou désuets? Bien que ce soit une
possibilité, il est tout aussi possible de concevoir que le Web social, dans la
mesure où il serait toujours en force dans vingt ans, peut potentiellement
assurer au contraire la pérennité des bibliothèques publiques en servant de
gardien d’une communauté d’utilisateurs qui dialoguent et partagent de
l’information, un des principaux rôles des bibliothèques publiques. Les
bibliothèques devront cependant accepter de vivre une dématérialisation des
leurs services pour répondre aux attentes des jeunes générations habituées au
monde virtuel de prestations de services.