samedi 13 avril 2013

Le Web social, catalyseur des bibliothèques publiques au Québec?




Le cours Web social (INF6107) m’a permis d’entrouvrir une fenêtre sur le monde du Web 2.0 et sur ses nombreuses ramifications. Force est de constater que les réseaux sociaux gagnent du terrain tous les jours et que la force de pénétration de ces réseaux en fait un moyen de communication de masse incontournable dans toutes les sphères de la société. En outre, ce nouveau moyen de partage d’information et de réseautage fait partie intégrante du quotidien d’une tranche grandissante de la population, la communauté des «digital natives», pour qui communiquer passe tout simplement par les réseaux sociaux. Il semble donc inévitable de prévoir l’intégration du Web 2.0 à plus ou moins court terme au monde des bibliothèques publiques, le milieu professionnel auquel je me destine. 

Description du milieu

Les bibliothèques publiques ont une histoire relativement récente au Québec, à peine plus de 50 ans. Leur développement, longtemps freiné entre autres par les communautés religieuses catholiques désireuses de limiter l’accès à la lecture – et, de ce fait, à l’information –, marque toujours un retard par rapport au Canada anglais et à l’Amérique du Nord.

Le manifeste de l’Unesco sur les bibliothèques publiques, publié en 1994, a certainement contribué à favoriser l’essor des bibliothèques au Québec. Ce document définit la bibliothèque publique comme un «centre local d'information qui met facilement à la disposition de ses usagers les connaissances et les informations de toute sorte.» Il encourage les communautés à fournir des services de bibliothèque gratuits, « […] accessibles à tous, sans distinction d'âge, de race, de sexe, de religion, de nationalité, de langue ou de statut social […] » et précise que « […] les collections et les services doivent faire appel à tous les types de supports et à toutes les technologies modernes […] » (Unesco, 1994). Selon cet organisme, une des missions des bibliothèques devrait être de «faciliter le développement des compétences de base pour utiliser l'information et l'informatique.» Au Québec, le ministère de la Culture et des Communication adhère à cette vision et y contribue en soutenant financièrement les bibliothèques publiques dans leur établissement et dans leur développement. C’est pourquoi le Web social pourrait et devrait trouver sa place et son rôle dans le développement des bibliothèques publiques.

Une étude réalisée en 2009 par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, en collaboration avec l’Institut de la statistique du Québec, indique que, en 2007, la province comptait plus de 800 bibliothèques publiques qui desservaient 95,3 % de la population québécoise, un résultat comparable à celui de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et des États-Unis (Stat_Flash, 2012).

Encore aujourd’hui, en dépit des progrès réalisés grâce à la volonté des gouvernements de corriger la situation, la province marque toujours un retard quant à la fréquentation des bibliothèques – une moyenne d’environ 34 % de la population (2010, CCQ) – et aux nombres de documents prêtés aux abonnés. Le Web social peut potentiellement contribuer à améliorer cette situation.

Tendances Web 2.0 dans les bibliothèques publiques

Comme dans la plupart des milieux, le Web social fait lentement son entrée dans les bibliothèques publiques. À cet égard, les plus récentes données de l’enquête annuelle sur les bibliothèques publiques réalisée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec sont éloquentes :

  • «24 291 064 personnes les ont visitées sur place alors qu’on a enregistré 13 312 546 visites sur leurs sites Web.
  • Dans leurs bibliothèques publiques, les Québécois ont accès à 2 559 postes de travail connectés à Internet, sur lesquels ils ont ouvert 2 678 500 sessions en 2010. De plus, 73 % des bibliothèques offrent l’accès à un réseau sans fil à leurs usagers.
  • Les usagers peuvent consulter des bases de données dans 58 % des bibliothèques publiques québécoises, 43 % d’entre elles permettant également d’utiliser des ressources électroniques à distance.
  • Les bibliothèques québécoises ont investi 2 814 511 $ pour acquérir des collections électroniques et 9 236 420 $ pour acheter de l’équipement informatique.» (Stat_Flash, 2012)

L’accès à des postes informatiques dans les bibliothèques publiques s’inscrit dans une volonté de favoriser une familiarisation aux nouvelles technologies. Les OPAC («on-line public access catalogues») ont permis de franchir un pas important vers l’accès à distance dans les bibliothèques. Ces nouveaux catalogues en ligne, consultables de la maison ou d’ailleurs, créent un premier lien virtuel entre les abonnés et la bibliothèque et ouvre la porte à la dématérialisation des services et, éventuellement, au partage d’information. En plus de promouvoir la collection de documents physiques, ces catalogues facilitent l’accès à des ressources numériques, élargissant ainsi l’éventail de l’offre documentaire de la bibliothèque. En contrepartie, ils permettent aux abonnés d’accéder à certaines ressources de la bibliothèque sans se présenter sur les lieux, ce qui pourrait constituer une certaine menace pour le maintien et la survie des bibliothèques publiques.

L’avènement et la progression de la popularité du livre numérique promettent possiblement de changer la situation. Les données suivantes en témoignent.

Figure 1 : Situation du livre numérique dans les bibliothèques publiques du Québec.


 

 



Comme le montre la figure 1, depuis 2007, les bibliothèques publiques font l’acquisition d’un nombre sans cesse croissant de livres numériques à chaque année. Elles les rendent disponibles selon des modalités diverses de chaque milieu et les abonnés en empruntent de plus en plus. Il semble indéniable que la présence du livre numérique puisse rapprocher les bibliothèques du Web 2.0. Désormais, non seulement les abonnés consultent le catalogue de leur bibliothèque et accèdent à certaines bases de données, mais ils peuvent également emprunter des documents sans jamais mettre les pieds dans leur bibliothèque. Une petite révolution.

Cette nouvelle façon de lire signifie-t-elle la fin des bibliothèques telles que nous les connaissons aujourd’hui? Au contraire, les nouvelles applications du Web social pourraient assurer la survie et même la croissance des bibliothèques publiques québécoises. Ces services d’information seront par contre appelés à subir d’importantes transformations afin de s’adapter aux changements que génère l’accessibilité aux nouvelles technologies. Et cette adaptation passe la nécessité de développer de nouveaux moyens de communiquer, de maintenir des liens avec la communauté des usagers d’aujourd’hui, et de réussir à rejoindre les adeptes du Web 2.0 pour en faire des abonnés, d’où l’importance de développer des réseaux sociaux.

Des initiatives de type Web 2.0 sont déjà en vigueur dans certains établissements du réseau des bibliothèques publiques, plus particulièrement dans celles établies dans les grands centres urbains. À titre d’exemples, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), la bibliothèque de Brossard et les bibliothèque de la ville de Québec s’affichent déjà sur des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter. Les membres de ces réseaux sont tenus informés des nouveautés, des activités et sont invités à échanger. Cette nouvelle façon de partager l’information permet d’ailleurs d’encourager l’établissement d’une conversation entre les abonnés, un élément central des réseaux sociaux.

Freins et volonté de changement

Bien qu’une certaine ouverture à l’égard des réseaux sociaux soit perceptible dans le milieu des bibliothèques publiques, il est illusoire de croire que l’ensemble de ces établissements québécois soit en mesure d’implanter des stratégies Web 2.0 dans leur institution en 2013. La grande disparité des ressources allouées aux bibliothèques publiques – tant humaines que budgétaires – se traduit par une offre très variable d’un milieu à un autre. Certaines bibliothèques de taille moyenne ou petite hésitent à tenter l’expérience des réseaux sociaux car elles sont confrontées aux difficultés inhérentes à la résistance des décideurs municipaux et à un financement insuffisant pour assurer le maintien de ces réseaux.

Outre la résistance au changement, phénomène naturel fréquent dans n’importe quel milieu professionnel ou autre, certaines raisons peuvent expliquer la lente progression des réseaux sociaux dans les bibliothèques publiques. La réticence de certains décideurs qui sont pour la plupart des «immigrants du numérique», qu’ils soient bibliothécaires ou représentants municipaux, agit comme un frein majeur à l’implantation du Web 2.0. Ces dirigeants sont réfractaires à utiliser les réseaux sociaux, probablement en raison de l’inconfort que suscitent ces nouvelles façons de communiquer avec lesquelles ils ne sont pas familiers. Comme la décision d’implanter de telles applications passe par ces derniers, il reste fort à faire pour les amener à accepter l’idée d’intégrer les réseaux sociaux dans leurs organisations.

Cependant, ces décideurs n’auront probablement d’autres choix que d’y adhérer, compte tenu de la force de la demande. De plus, dans la mesure où le nombre d’abonnés est un indicateur important de la mesure de la performance des bibliothèques, un élément essentiel à l’établissement du budget annuel alloué à cette ressource publique, le Web 2.0 devrait être perçu comme un moyen efficace d’attirer des nouveaux abonnés. Si les bibliothèques veulent accroître leur nombre d’abonnés de même que leur taux de fréquentation, elles devront rejoindre les 18-30 ans, une catégorie de la population particulièrement sous-représentée dans leurs services. Cette tranche de la population étant très active sur les réseaux sociaux, il serait judicieux de les attirer vers les bibliothèques en utilisant les moyens de communication qu’elle favorise. Mais cette génération ne fait pas que communiquer par les réseaux sociaux, elle partage ouvertement aussi ses intérêts et ses opinions.

Là réside possiblement la clé pour que les bibliothèques puissent faire de grandes avancées. En incitant les abonnés à partager leur expérience de lecture, d’écoute, de visionnement sur les réseaux sociaux mis en place, la bibliothèque peut faire la promotion de ses services et en favoriser une meilleure utilisation dans la communauté.

Que réserve l’avenir aux bibliothèques publiques?

Dans le monde en constante ébullition des technologies de l’information, il n’est pas facile de se projeter dans le futur. Chaque mois, et parfois même chaque semaine, amène son lot de nouvelles applications, de nouvelles technologies. Comment les bibliothèques publiques peuvent-elles se positionner pour tenter de bénéficier de ces avantages? Que se passera-t-il d’ici un an, cinq ans, vingt ans?

Dans la prochaine année
Le monde des technologies numériques est en croissance constante depuis les dernières années et ne semble pas vouloir s’essouffler. L’attrait grandissant pour le livre numérique en fait un incontournable pour les bibliothèques publiques qui veulent demeurer dans la course. Les applications favorisant le partage d’information et le développement de communautés d’usagers sont très probablement appelés à s’intégrer au milieu des bibliothèques publiques.
Ainsi, la prochaine année devrait amener la plupart des bibliothèques publiques à offrir accès aux livres numériques. Parallèlement, la plupart des bibliothèques publiques des grandes villes devraient investir pour s’afficher sur les réseaux sociaux. La création de compte Facebook, Twitter ou encore Flickr ou Pinterest feront partie des innovations de ces plus grandes bibliothèques.

Dans cinq ans

Le courant d’intégration d’applications du Web social devrait fort probablement s’étendre aux bibliothèques de taille moyenne et même petites, puisque ces dernières n’auront d’autre choix que de suivre la vague de partage d’information et de commentaires. L’impact positif de ces réseaux sociaux risque d’entraîner d’autres innovations.

Il est facile de concevoir que le tagging, un système permettant d’attribuer des étiquettes à des pages Web comme il a été décrit au module 1 du cours INF6107, pourrait faire partie du paysage des bibliothèques publiques, un autre élément de Web 2.0 qui intéresse vivement les «natifs du numériques», une tranche de la population que les bibliothèques publiques se doivent d’attirer pour garantir leur survie.

Dans vingt ans

D’ici 2033, les réseaux sociaux – qu’il s’agisse de Facebook, Twitter, Flickr ou les futures applications appelées à les remplacer – auront assurément pénétrer complètement l’espace des bibliothèques publiques et les compagnies qui proposent des systèmes intégrés de gestion de bibliothèques (SIGB) auront intégrer des modules permettant de gérer les réseaux sociaux dans les bibliothèques publiques. Les signets sociaux seront devenus la norme une pratique courante pour la référence, grâce aux contributions des abonnés de bibliothèques. Comme ces services d’informations seront fort probablement dirigés par des «digital natives», ces derniers seront plus enclins à suivre les nouveautés technologiques et souhaiteront possiblement suivre le courant dans la mesure des ressources à leur disposition. Il faut cependant prévoir que ces nouveaux gestionnaires deviendront probablement eux-mêmes dépassés par la progression exponentielle du monde du Web.

Il semble assez difficile de prévoir ce que seront devenus ces réseaux sociaux et vers quels nouveaux horizons ils nous mèneront. Qui aurait pu prédire, au début des années 1990, que l’apparition d’un premier navigateur internet mènerait à la présence d’un accès au Web dans pratiquement toutes les maisons et toutes les entreprises, du moins en Occident, quelques vingt années plus tard? Qui aurait crû que l’ordinateur serait au cœur de notre quotidien? Cette progression fulgurante du domaine de l’informatique au cours des 20 dernières années a révolutionné la manière d’interagir avec les autres, mais également les modes de travail et les communications. Ce qui aurait pu sembler être une mode s’est implanté profondément dans nos vies professionnelles et personnelles sans possibilité de retour en arrière.

De plus, si le passé est garant de l’avenir, on peut prédire que certaines des applications les plus populaires du moment, telles que Facebook, Youtube, Twitter ou Flickr, pourraient fort bien avoir été supplantées, comme l’ont été des applications très populaires telles qu’Instagram et MySpace, par de nouveaux outils plus performants, plus attrayants ou tout simplement plus «tendance».
Pour plusieurs experts, la reconnaissance vocale fait partie de l’avenir du Web. Les bibliothèques publiques sauront-elles y trouver leur compte? Difficile à prédire. Il en va de même pour les données ouvertes. Dans le cas des livres numériques, le marché actuel est contrôlé par quelques grands joueurs qui récoltent beaucoup de profits en se partageant des parts de marché à grand frais pour les usagers. Le coût pour les bibliothèques publiques est croissant. Par exemple,

  • Les bibliothèques publiques signent des contrats leur donnant accès aux fichiers des livres numériques qu’elles prêtent ensuite aux abonnés. Elles ne possèdent pas le code source des livres qu’elles «acquièrent» et ne sont donc pas propriétaires des exemplaires qu’elles achètent. Elles dépendent des éditeurs qui demeurent propriétaires des ouvrages et qui peuvent à tout moment retirer de leur catalogue un ouvrage moins populaire.
  • Certaines ententes entre bibliothèques publiques et éditeurs limitent à 100 le nombre de prêts d’un livre numérique, ce qui force les bibliothèques à racheter l’accès à des ouvrages populaires à plusieurs reprises, un coût élevé en comparaison des livres imprimés.

Comme l’accès à des bases de données s’avère également dispendieuses et que les bibliothécaires ont un contrôle limité sur le choix des ressources disponibles, la tendance vers les données ouvertes permettra-t-elle de changer le rapport de force avec les éditeurs? Les consommateurs pourraient-ils rééquilibrer la donne? On peut aussi imaginer que le libre partage des données doublé à la venue sur le marché de nouvelles technologies pourrait permettre d’accéder de façon moins onéreuse, et même gratuite, aux documents.

Cet accès libre à des données risque-t-il de rendre les services de bibliothèques inutiles ou désuets? Bien que ce soit une possibilité, il est tout aussi possible de concevoir que le Web social, dans la mesure où il serait toujours en force dans vingt ans, peut potentiellement assurer au contraire la pérennité des bibliothèques publiques en servant de gardien d’une communauté d’utilisateurs qui dialoguent et partagent de l’information, un des principaux rôles des bibliothèques publiques. Les bibliothèques devront cependant accepter de vivre une dématérialisation des leurs services pour répondre aux attentes des jeunes générations habituées au monde virtuel de prestations de services.